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Le mysticisme chrétien de

Georges Bernanos

peut-il aider les spiritualistes ?

 

 

(citations exclusivement tirées du

« Dialogue des Carmélites »)

 

 

Georges Bernanos, est né le 20 février 1888 à Paris et mort le 5 juillet 1948 (à 60 ans) à Neuilly-sur-Seine. C’est un écrivain français. Son œuvre comprend essentiellement huit romans dont les plus célèbres sont « Sous le soleil de Satan » et le « Journal d’un curé de campagne » et parmi ses essais « Les grands cimetières sous la lune », et bien entendu « le dialogue des Carmélites » dont nous allons nous occuper.

Catholique fervent, nationaliste et monarchiste passionné, il milite très jeune dans les rangs de l'Action française en participant aux activités des « Camelots du roi » pendant ses études de lettres et de Droit. Il était donc placé sous l’égide de Charles Mauras et pour ceux à qui tout cela ne dirait rien il s’agit donc des mouvements d’extrême droite, nationalistes et royalistes de l’époque. Plus tard il manifestera aussi des sympathies franquistes, qu’il semble cependant renier ensuite.

Malgré ces engagements peu sympathiques nous allons voir que derrière les scories se trouvent, dans « le dialogue des Carmélites », des perles merveilleuses.

Je n’ai jamais lu Bernanos. Je ne connais de lui que ces « dialogues » mais depuis très longtemps, très tôt, dans ma jeunesse (vers 25 ans je crois !) j’ai été frappé par la sagesse de certaines maximes qui m’ont véritablement servi plus tard dans la vie.

Ces « dialogues » sont inspirés de « La Dernière à l'échafaud » (Die letzte am Schafott) de Gertrud von Le Fort et des « Dialogues » de Bernanos je n’en connais en réalité que le texte de la version cinématographique réalisée par le Révérend Père Bruckberger et Philippe Agostini (publié chez Points).

Je ne sais si j’ai commencé à lire le texte ou à le découvrir par la musique (superbe) que Francis Poulenc a tiré de cette adaptation. Mais vu mes goûts je pense que c’est par la musique.

LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS

Francis Poulenc est né le 7 janvier 1899 à Paris où il meurt le 30 janvier 1963. C’est un compositeur et pianiste français, membre du groupe des Six et sans aucun doute le plus célèbre de ce groupe qui comprenait aussi Arthur Honegger (très célèbre en son temps et un peu oublié* – et même démodé aujourd’hui - bien qu’il y ait des merveilles à découvrir dans son œuvre), Georges Auric (qui a surtout écrit de la musique de film), Darius Milhaud (et sa polytonalité) et enfin Geneviève Taillefer et Louis Durey, qui sont les moins connus. Mais notons tout de même la présence de cette femme « compositrice » ce qui est bien rare.

* dont il faut tout de même retenir "Jeanne au bûcher" sur un livret - pas trop stupide - de Claudel.

Poulenc se définissait lui-même, volontiers, comme un « moine voyou » c’est dire que toutes ces influences se retrouvent dans son œuvre depuis « le concerto en casquette » jusqu’au « dialogue », pour résumer grossièrement et rapidement son œuvre immense.

LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS
LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS

En tant que compositeur il n’a jamais eu de « purgatoire », ce qui est rare, puisqu’on l’a toujours joué et qu’on le joue toujours.

Poulenc avait (re)trouvé la foi à la fin de sa vie et il raconte lui-même comment il a commencé à écrire, d’une manière un peu étrange, la musique du « dialogue ». S’étant installé à une table de café il a voulu voir, en partant d’une scène prise au hasard et d’une seule phrase, si l’inspiration lui venait. Elle est venue en effet immédiatement et ne l’a plus quitté jusqu’à l’achèvement de l’œuvre (de 1953 à 56).

La musique de Poulenc sur « le dialogue des Carmélites » est somptueuse, grandiose, variée, impressionnante et à la fois divine et terrifiante surtout dans le « salve regina » final où la guillotine scande bruyamment, en l’interrompant, le déroulement du chant sublime. Comme le texte est en prose cela donne, dans tout l’opéra, une expression parlée très quotidienne et séduisante (bien que tout soit chanté évidemment*).

 

* Poulenc exigeait que les chanteurs soient très compréhensibles (malgré la difficulté des mélodies). Malheureusement, actuellement, on ne sait plus articuler en chantant, ce qui pour cet ouvrage est une vraie catastrophe. On peut même dire qu'un opéra où on comprend tout et celui où on ne comprend rien sont presque deux œuvres différentes!)

 
L'action se situe à Paris et à Compiègne. Elle débute en avril 1789. Blanche de la Force annonce à son père son intention d'entrer au Carmel. La mère supérieure du couvent de Compiègne la reçoit et lui demande d'exposer les raisons qui la poussent à rejoindre cet ordre religieux. Devenue novice, Blanche va vivre les derniers jours de la congrégation mise à mal par la révolution française. La troupe envahit le couvent, mais Blanche réussit à s'échapper. Les ordres religieux sont supprimés et les religieuses sont condamnées à mort. Elles montent à l'échafaud en chantant le Salve Regina. Après bien des hésitations, des doutes sur sa raison d'être, Blanche les rejoint.
LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS

Sur cette intrigue qui peut paraître sobre se greffe l’une des grandes idées de ce texte (et peut-être même de Bernanos tout entier) c’est la notion de mort transférable. Sœur Constance dit en effet : « On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou même les uns à la place des autres, qui sait ? »

LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS

Nous allons donc avoir la Mère prieure, dans son agonie, dire, trahissant tous ses vœux et épouvantant les autres sœurs : « Que suis-je à cette heure, moi misérable, pour m’inquiéter de Lui ! Qu’il s’inquiète donc d’abord de moi ! » et encore : « Dieu s’est fait lui-même une ombre… Hélas ! J’ai plus de trente ans de profession, douze ans de supériorat. J’ai médité sur la mort chaque heure de ma vie, et cela ne me sert maintenant de rien !… » Et elle finira, cette mère Prieure, en effet en criant et en arrachant son voile : « Mort… Peur… Peur de la mort… ! » Et je me souviens de Régine Crespin absolument sublime dans ce rôle et dans ce passage.

de gauche à droite (et aux premiers plans) Francis Poulenc, Régine Crespin et Georges Prêtre (chef d'orchestre)

de gauche à droite (et aux premiers plans) Francis Poulenc, Régine Crespin et Georges Prêtre (chef d'orchestre)

Tandis que la petite sœur Blanche, médiocre novice, fuyant le cloître, pendant les évènements, va rejoindre à la fin ses sœurs, à l’échafaud, en chantant. Comme s’il y avait eu un échange de mort entre la Prieure et elle. La Mère Prieure a une mort de petite novice et la petite novice endosse le manteau de la mort d’une grande mystique… ! pour reprendre les termes de Bernanos. En effet dans un dialogue entre sœur Constance et sœur Blanche on peut lire : « Pensez à la mort de notre chère Mère, sœur Blanche. Qui aurait pu croire qu’elle aurait tant de peine à mourir, qu’elle saurait si mal mourir ! On dirait qu’au moment de la lui donner, le bon Dieu s’est trompé de mort, comme au vestiaire on vous donne un habit pour un autre. Oui ça devait être la mort d’une autre, une mort pas à la mesure de notre Prieure, une mort trop petite pour elle, elle ne pouvait seulement pas réussir à enfiler les manches… » Et sœur Constance, ne dit-elle pas, d’une manière quasi prophétique, à Blanche: « … cette autre, lorsque viendra l’heure de la mort, s’étonnera d’y entrer si facilement, et de s’y sentir confortable… » D’ailleurs plus loin dans l’action, alors que les évènements qui se déroulent sont effroyables, Blanche dit : « C’est pourtant vrai que je ne crains plus rien. Où je suis, rien ne peut m’atteindre. »

Devant l’horreur de la situation la nouvelle Prieure proclame : » C’est quand le mal fait le plus de bruit que nous devons en faire le moins. » ce qui est évidemment à rapprocher de la phrase de Louis Claude de Saint-Martin (dit « le Philosophe Inconnu ») : « J’ai désiré de faire du bien, mais je n’ai pas désiré de faire du bruit, parce que j’ai senti que le bruit ne faisait pas de bien, comme le bien ne faisait pas de bruit. » Même époque, mêmes pensées !

LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS

Mais continuons à commenter les plus belles phrases de ce texte.

A la fin du premier tableau Blanche après avoir avoué vouloir entrer au couvent dit : « Si je n’espérais pas que le ciel a quelque dessein sur moi, je mourrais de honte à vos pieds. »

« Si je n’espérais pas que le ciel a quelque dessein sur moi » ! Cela impliquerait donc un dessein personnalisé venant d’en haut pour certains humains ? Et je ne peux m’empêcher de mettre cela en parallèle avec une autre phrase de Saint-Martin » parlant des « oubliés de Dieu » ! Des « oubliés de Dieu », j’en vois souvent autour de moi. Voyant le chaos qui règne ici-bas je me dis parfois « Dieu n’est pas avec lui » (ce qui est d’ailleurs prétentieux). Mais je ne peux m’empêcher de penser que nous autres spiritualistes nous ne sommes pas des « oubliés de Dieu » et qu’une intelligence nous guide et nous envoie des signes et j’en suis d’autant plus convaincu qu’indiscutablement je l’ai constaté pour moi-même. D’ailleurs sœur Constance ne dit-elle pas : « ce que nous appelons hasard, c’est peut-être la logique de Dieu. » Et pour confirmer mes dires je cite cette phrase de la Prieure : « Oh ! ma fille soyez toujours cette chose douce et maniable dans ses mains ! » Ceux qui croient en un certain déterminisme divin appliquent, sans s’en rendre compte ce que j’appelle « le yoga de l’obéissance ». C’est en d’autres termes ce que dit la Prieure.

Et Blanche (voyant aussi Dieu partout) ne dit-elle pas : « …il n’est pas d’incident si négligeable où ne s’inscrit la volonté de Dieu comme toute l’immensité du Ciel dans une goutte d’eau. »

Dans le premier entretien de Blanche avec la Mère Prieure, Blanche s’entend dire : « L’habitude finit par détacher de tout. Mais à quoi bon…être détachée de tout si (on) n’est pas détachée de soi-même, c’est-à-dire de son propre détachement ? »

LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS
LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS

Voilà qui, à mes yeux aborde un problème qui nous concerne celui de l’ego sur lequel nous buttons tous. La Mère Prieure ne dit-elle pas plus loin : « A vouloir trop descendre on risque de dépasser la mesure. Or en humilité comme en tout, la démesure engendre l’orgueil » et plus loin encore une comparaison que j’aime beaucoup : « Il n’est qu’un moyen d’abaisser son orgueil, c’est de s’élever plus haut que lui… Mais on ne se contorsionne pas pour devenir humble, comme un gros chat pour entrer dans la ratière. » Phrase à laquelle on peut relier la devise suivante qui ne manque pas de vérité : « A vouloir forcer la nature, on ne réussit qu’à manquer de naturel. »

Et surtout cette phrase si importante de la Prieure : « On franchit une montagne et on bute sur un caillou ».

Ne voilà-t-il pas expliquée la petitesse de certains grands Hommes qui déçoivent parfois, inventeurs, créateurs, explorateurs, compositeurs, poètes etc… ? « Car l’infirmité de notre nature veut que ce soit d’abord en autrui que nous découvrions nos propres misères », fait remarquer la Prieure.

Sur cette phrase je ne suis pas d’accord car je pense que si on remarque les défauts d’autrui c’est peut-être certes parce que nous les avons nous mêmes et pourquoi pas parce que nous les avons surmontés ?…

LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS

Je tourne les pages. Il y a des merveilles partout. La prieure : « Ce qu’il veut éprouver en vous n’est pas votre force mais votre faiblesse… »

Cette phrase évidemment m’a longtemps troublé. Et puis en y réfléchissant (et en la vivant) j’ai compris qu’il est évident qu’on soit éprouvé (toujours cette idée de volonté supérieure qui nous guiderait) sur notre faiblesse car c’est là où nous sommes vulnérables et c’est là qu’ « Il » verra comment nous réagissons dans l’épreuve. Là où nous sommes forts il n’y a évidemment aucun mérite. Et puis le Christ n’a-t-il pas dit (je cite en substance) « aux pauvres il leur sera tout retiré et aux riches il leur sera donné encore plus » ! Que de réflexions, surtout pour notre société actuelle, cela engendre-t-il !

Toujours la Prieure : « Ce n’est pas la Règle qui nous garde, ma fille, c’est nous qui gardons la Règle. »

LE DIALOGUE DES CARMELITES DE POULENC & BERNANOS

Puis pour approcher de la conclusion : « On n’a pas le temps de jouir de ce qu’on donne ». Alors là, paradoxalement, nous sommes en plein dans la Baghavad Gîta et dans l’enseignement sacré de Krishna : « Ecoute : tu as droit à l’action mais seulement à l’action, jamais à ses fruits. Combats pour la justice et non pour toi-même ; ne prends jamais pour motif d’action le fruit de cette action. » Quelle leçon ! Quelle sagesse ! Combien nos dirigeants pourraient s’en inspirer ! Et nous-mêmes ! Et cela me fait penser aussi à cette phrase du « Prophète » : (je cite en substance) « Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils viennent par vous mais ne sont pas de vous. »

Même leçon, même sagesse ! Quelle leçon pour qui a fondé une famille. Quelle leçon pour les parents autoritaires !

Mais revenons à « On n’a pas le temps de jouir de ce qu’on donne ». Pour les grands créateurs, les grands écrivains, les grands compositeurs cette phrase m’a toujours paru évidente.

Imaginons Balzac, Victor Hugo, Mozart et bien d’autres dont l’œuvre est colossale. Ils passent leur vie à créer, à donner. Et j’aime à dire par exemple : « jamais Victor Hugo n’ a eu le temps de lire Victor Hugo, jamais Balzac n’a eu le temps de lire du Balzac1 ! » Pour les compositeurs, aussi prolixes soient-ils, c’est différent car souvent ils dirigeaient ou interprétaient leurs propres œuvres. Ce qui est d’ailleurs encore plus extraordinaire : d’avoir eu le temps de donner des concerts !

Et pour conclure cette réflexion, un peu longue qui nous vient de sœur Constance et qui nous intéresse particulièrement : « … il me semble parfois qu’il est moins triste de ne pas croire en Dieu du tout que de croire en un Dieu mécanicien, géomètre et physicien. Les astronomes ont beau faire. Je crois que la Création ressemble à une mécanique comme un vrai canard ressemble de loin au canard de Vaucanson. Mais le monde n’est pas une mécanique non plus que le bon Dieu un mécanicien, ni d’ailleurs un maître d’école avec sa férule, ou un juge avec sa balance… »

Sœur Constance à beau dire il existe de nos jours « l’institut de mécanique céleste » dont les résultats très sérieux prédisent sans erreurs la position des astres et l’avenir de l’univers.

 

 

Pour conclure répondons à la question posée en titre : « le mysticisme chrétien de Bernanos peut-il aider les spiritualistes ? » la réponse est évidemment oui, indiscutablement !

 

Ecoutez maintenant si vous voulez la scène finale où les carmélites montent l'une après l'autre à la mort en chantant le Salve Regina. Attention c'est du mysticisme en bronze - et c'est irrésistible!

Et Poulenc disait lors d'un interview alors qu'il terminait l'écriture de l'œuvre ; "oh! ce sera un final très simple."!

 

1 Balzac, initié, dont les œuvres suivantes « Louis Lambert » et « Seraphita » témoignent de son intérêt pour l’occultisme.

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Published by agalmar

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